Depuis sa création jurisprudentielle en 2010 (Cass. Soc. 11 mai 2010 n° 09-42.241), la reconnaissance du préjudice d’anxiété (visant la situation d’inquiétude permanente de développer à tout moment une pathologie grave) était exclusivement réservée aux salariés éligibles à la préretraite amiante (appelée ACAATA) pour avoir travaillé dans un établissement inscrit sur une liste ministérielle mise à jour régulièrement depuis sa création en 2000 (arrêté du 7 juillet 2000).

Pendant de nombreuses années, la Cour de Cassation a maintenu sa position stricte sur les salariés pouvant bénéficier de cette indemnisation mettant en avant une présomption d‘exposition permettant une indemnisation automatique aux salariés ayant travaillé dans un établissement ouvrant droit au versement de l’allocation de cessation anticipé d’activité des travailleurs de l’amiante (ACCATA).

Un premier revirement a été opéré par l’Assemblée Plénière en avril dernier (Cass. Soc. 5 avril 2019 n°17-18.311), la Cour de Cassation ayant ouvert la possibilité à tous les salariés ayant été exposés à l’amiante (y compris ceux non éligibles à la préretraite amiante) d’obtenir la réparation de leur préjudice d’anxiété lié à l’inquiétude de la déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante du fait de leur exposition sur le fondement des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur.

Cet arrêt laissait entrevoir de nouvelles possibilités en matière de réparation du préjudice d’anxiété notamment une extension à d’autres substances.

Dans un arrêt du 11 septembre 2019 (Cass. Soc.11 septembre 2019) très largement diffusé, la Cour de Cassation a ouvert l’indemnisation du préjudice d’anxiété à tous les salariés justifiant d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un haut risque de développer une maladie grave. La Cour se place sur le terrain des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur et notamment les articles L 4121-1 (obligation de sécurité de l’employeur) et L 4121-2 (principes généraux de prévention incombant à l’employeur) du Code du travail.

Concrètement, les salariés devront démontrer :

  • L’exposition à une substance toxique ou chimique générant un risque élevé de développer une pathologie grave,
  • Un préjudice d’anxiété personnellement subi avec notamment un suivi médical, des attestations, etc…,
  • Un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’employeur sont strictes et la charge de la preuve repose largement sur le salarié qui devra justifier de son exposition à une substance dangereuse et de l’absence de mesure de protection prise par l’employeur.

L’employeur pourra donc s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs (Cass. Soc. 25 novembre 2015 n°14-24.444)

Cet arrêt soulève encore un certain nombre de questions : Quelles sont les substances toxiques ou nocives générant un risque élevé de développer une maladie grave ? Le salarié devra-t-il justifier d’une durée minimale d’exposition ? Quel sera le point de départ de la prescription applicable à l’action en responsabilité du salarié ?

Rappelons que l’action en reconnaissance du préjudice d’anxiété se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître le risque à l’origine de l’anxiété. Là encore toute la difficulté consistera à apporter une date précise pour la connaissance de l’exposition à un substance toxique…

Cet élargissement du périmètre du préjudice d’anxiété pourrait potentiellement conduire à de nombreuses actions en réparation notamment dans le domaine de la chimie, des poussières de bois, etc..